Ile-à-Vache : un paradis assiégé
Un bateau immobile se repose sur une eau calme et cristalline. Le ciel, débarrassé de ses nuages offre à l’horizon un panorama sublime de fin d’après-midi. L’ambiance à l’hôtel Port Morgan est feutrée. Le silence n’est troublé que par l’enthousiasme d’oiseaux aux couleurs joyeuses et curieuses tournoyant au-dessus des petites maisons rustiques formant l’établissement. On est le vendredi 17 juillet et je viens de débarquer à l’Ile-à-Vache avec une délégation de journalistes pour une visite excursion des différents projets qu’entreprend le gouvernement haïtien dans la zone.
S’étendant sur 15 km en longueur d’est en ouest, l’île, située au sud des Cayes, couvre une superficie d’environ 45, 96 km2. Verte, écologique et bordée de plages luxuriantes, elle abrite les plus grandes forêts de mangroves d’Haïti. En 2009, sa population est estimée à 14 004 habitants.
Repaire de pirates au XVIIe siècle l’île est aujourd’hui peuplée majoritairement de pêcheurs et d’agriculteurs.
Sa beauté attire les visiteurs de partout. C’est d’ailleurs fort de ce constat que l’administration Michel Martelly en a fait un axe fort de son objectif de réinscrire Haïti sur la carte touristique mondiale. 320 millions de dollars y sont investis pour créer et renforcer les infrastructures nécessaires à rendre l’expérience unique et inoubliable.
Deux heures après notre débarquement dans cet hôtel aux allures de luxe, planté sur le flanc d’une montagne et faisant face à la mer, nous sommes invités à faire le tour des environs.
La 4×4 de la police nationale, une des rares voitures sur l’île, prêtée pour l’occasion, avançait difficilement tant le trajetest accidenté. Si des travaux sont entrepris pour améliorer les routes, aucune d’elles n’est encore bétonnée. La moto et le vélo sont les moyens de déplacement privilégiés des habitants.
À quelques pas de l’hôtel, on peut voir des maisons en paille ou en bloc recouverts le plus souvent de tôles . Le contraste avec le monde dans lequel nous étions, peu avant, est accablant. La vérité, c’est qu’à côté de ces grands investissements et des touristes nageant dans l’opulence, végète une population à genoux, croupissant dans l’indigence. Ce qui laisse entrevoir l’existence de deux mondes parallèles coexistant sans vraiment pouvoir se rencontrer.
C’est d’ailleurs officiellement pour réduire cet écart que le projet est conçu. Il a été très critiqué et suscite encore le scepticisme d’une large frange de la population. Un port, un aéroport international et des routes sont en construction. On nous fait visiter un petit hôpital dispensant les soins gratuitement avec l’aide de l’ONG Foundation For Hope and Help in Haiti.
Un centre communautaire est aussi aménagé pour dispenser sans frais des cours d’informatique, de plomberie, de maçonnerie afin de fournir le moment venu la main-d’œuvre locale appelée à travailler sur place.
L’île sera-t-elle vendue aux étrangers comme le craignent nombre de ses occupants ? Continuera-t-elle d’être l’objet de réjouissance de riches touristes alors que ses propres occupants peinent à joindre les deux bouts ? Le projet « destination touristique » est-il réalisé en faveur du développement intégral et durable de cet espace encore protégé des rouleaux compresseurs, de la pollution et des déchets urbains ? Qui finance ? Quand ? Comment et pourquoi ? Autant de zones d’ombre qui inquiètent et interpellent les habitants sur place.
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