Ces émissions de radio qui abrutissent

25 août 2015

Ces émissions de radio qui abrutissent

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Dans la sphère politique haïtienne, les personnalités naissent, croissent et disparaissent. Entre ces deux extrémités, les stratégies, les combats assumés et les alliances effectuées sont déterminants quant à la longévité ou le degré de succès d’une telle orientation.

Dans un pays exsangue, où la misère fait cracher la poussière à la population, se tenir au côté de cette dernière peut s’avérer être un choix gagnant. C’est le choix qu’ont effectué des animateurs de radio à Port-au-Prince aussi bien qu’en milieu rural.

Cependant, quand l’indigence intellectuelle et l’amateurisme se mêlent à un populisme opportuniste il y a de quoi s’inquiéter. Le cocktail loin d’éclairer sur les tenants et aboutissants de l’actualité, favorise les passions, la superficialité et le réductionnisme qui simplifie à l’extrême la complexité d’un réel échappant aussi bien à l’animateur qu’à l’auditeur.

Quelques exemples de ces dérives :

Plus gourou qu’intellectuel ou journaliste

Ces animateurs, maîtres et seigneurs derrière leur micro, fonctionnent sur le même modèle que les pasteurs, les sorciers ou les prêtres: ils sont convaincus d’être porteurs de la bonne nouvelle et détenteurs de LA vérité. Ainsi, distribuent-ils triomphalement et sans interruption les points, décident ce qui est bien ou mal, indiquent comment il faut penser, quelle personnalité vaut la peine d’être écoutée ou pas, quel responsable public a eu le meilleur et le pire bilan… Le tout dans une subjectivité subtile non saisie par la majorité.

Ce serait d’ailleurs acceptable si le temple de ces seigneurs ne reposait pas sur le principe du copinage, des pots-de-vin ou des petites querelles personnelles. Ainsi, on a pu entendre un animateur consacrer son émission à détruire systématiquement une personnalité pour expliquer en coulisse que cette dernière aurait refusé de lui répondre au téléphone.

La manière de faire de ces émissions est anarchique. Dans la forme, l’horaire est rarement déterminé; les studios étant les laboratoires miniatures de cette jungle qu’est notre société. On commence quand on veut, on termine quand on veut. Les sujets ne sont pas non plus définis. Étant souvent sans expertise, incapable ou sans envie de fouiller les rapports ou de trouver des experts pouvant le faire, l’animateur se complaît à bêtement répéter les accusations des opposants ou les fiches de communications du gouvernement.

Souvent, ils avouent ne pas savoir quels sujets aborder en débuter démission. Ils peuvent tout d’abord débiter des boniments sur l’économie pour s’engouffrer dans une critique des religions. Éclectisme diront-ils. Mais c’est n’importe quoi. Ces soi-disant professionnels n’ont aucune formation, ils exercent ce métier parce qu’ils font partie des connaissances de l’animateur VEDETTE.

Aucune éthique de responsabilité

J’ai récemment entendu l’un d’entre eux soutenir qu’il peut tout dire de n’importe qui, du moment que ce dernier est à même de faire valoir son droit de réponse. C’est d’ailleurs une façon classique de procéder dans ce petit monde : ils se font les caisses de résonance des rumeurs les plus abjectes, sans vérification. Parfois, ils prennent une fausse distance et relaient ces rumeurs en espérant provoquer une réaction de la part du concerné. Et ce, sans tenir compte de l’impact de la parole proférée dans l’esprit de l’auditeur quant à l’image qu’il se fera du personnage même après un démenti.

Ces animateurs ont généralement deux objectifs, utiliser la sympathie populaire pour se porter candidat (providentiel) ou utiliser l’espace médiatique comme rente personnelle. Dans les deux cas, rarement le souci du travail bien fait, du professionnalisme, de l’intérêt public ou de l’éthique n’entrent en ligne de compte.

La chasse à l’audimat empêche ceux qui ont un minimum de connaissances d’approfondir le thème. La culture du « zin », du qui est marié avec qui, qui couche avec qui, qui a acheté quoi, donne l’image d’une presse caniveau où seuls les va-nu-pieds ont droit de cité.

Le pire, c’est que ces saltimbanques ont une grande écoute. La masse avide de comprendre sans être gavée de mots ronflants est leur clientèle favorite.

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Commentaires

kader
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Les grands esprits, discutent des idées.
Les esprits moyens, discutent des évènements.
Les petits esprits, discutent des gens.

Socrate.

Widlore Mérancourt
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Rien n'est plus vrai !

Plume féconde
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Wow, mais c'est tellement bien dit. Et c'est si triste de constater que ces genres "d'émission" continuent de pulluler sans frein. Comment devient-on animateur? Comment fonder une radio? Le problème est très profond. Mais comme la plupart de nos problèmes, celui-ci aussi est lié a notre bas niveau d’éducation. La radio est un business personnel fondé sans règles ni règlement. Une fois fondée, tout le monde veut être la vedette, tout le monde veut parler, tout le monde veut être la voix de raison. Le micro est donné a n'importe qui et, mal utilisé, il devient une arme de destruction massive. Destruction de l'autre, destruction du peu qu'il nous reste d’intellectualité. "Quand un aveugle suit un autre aveugle, les deux vont tomber dans le même trou", dit-on. Je suis si triste de voir toute cette population se diriger vers un grand trou noir. Mais je suis encore plus triste de voir les "médias" contribuer a cette destruction.

Widlore Mérancourt
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Aucun commentaire n'aurait aussi bien résumé mes préoccupations. Et vous avez raison de souligner que ce problème s'étend aux médias en général, notamment la télévision. Ici aux Cayes, ce qui se dit et se fait à la télé est symptomatique de l'état de déliquescence de notre société. Les chaines responsables, qui donnent le micro aux gens responsables se comptent sur les doigts. Quand on connait la place des médias dans la formation des plus jeunes et l'opinion publique, on se demande si, comme vous l'avez dit, on ne se dirige pas vers un grand trou noir !

Petit Frère Dieulermesson
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Triste constat. Et l'on ne sortira pas de si tôt du gouffre tant que l'on n'arrête pas de pourchasser les gens formés (ceux qui savent vraiment lire ) et qui sont des désintéressés, toujours prêts à servir.

Widlore Mérancourt
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En effet Dieulermesson, on devrait à la limite s'excuser d'être éduqué dans ce pays. Etre intellectuel ou reconnu comme tel fait de vous un suspect. Comment pourra-t-on bâtir une société durable de la sorte ? Comment réussir quand on se prive "structurellement" de ses meilleurs atouts ?

domi
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c est surtout parce en face il n y a rien remplissons donc ce vide vite

Widlore Mérancourt
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Bonjour. Quand on remplit son vide "existentiel" par du vide, c'est l'existence elle-même qui devient un néant...

Guy Muyembe
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C'est à peu prês ce que je vois dans mon pays la R.D.Congo.Des radios trottoirs où les animateurs se distinguent difficillement des stars d la rumba par leurs parlers grossiers et leurs volontés de racoller les hommes qui ont "un peu d'argent".Quand on ajoute à cela les journaux( ou plutôt des bouts de torchon) et des animateurs télé à la con, on a un coktail qui abruti toute la société congolaise.

Widlore Mérancourt
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Le "populisme" dans toute sa splendeur : parler gras et grossièrement pour se montrer proche du petit peuple. Le pire, c'est qu'ils ont une grande écoute donc un potentiel inouï de corrompre le grand public.

Elsa Kane Njiale
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Ce type d’émission trouve toujours un public qui souhaite se détendre pour oublier un peu l'âpreté de la vie. Avec ça, on n'est sûr de ne pas avoir à se remuer les méninges.

Widlore Mérancourt
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En effet. J'ajouterai que la tâche revient aux journalistes et présentateurs de proposer aux citoyens une détente constructive.

Ronald Charles
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Finalement un article qui partage mon point de vue sur cet imbroglio dans l'espace médiatique haïtien. Un article à lire. Bravo frère pour ce beau papier. Tu as si bien choisi tes mots, ils sont justes. Gardes cette posture! Ce faisant, tu seras sans doute pas riche avec une voiture blindée offerte par un gouvernement corrompu et corrupteur; une belle maison payée par un politicien véreux de la place; une voiture de luxe pour ta petite famille offerte par un concessionnaire fabricant de présidents, mais à coup sur tu seras un vrai journaliste qui restera dans les annales de la presse haïtienne, un qui a servi sa patrie avec honneur, fierté par l'entremise de son métier qu'il exerce avec passion, amour et éthique. Tiens bon frère!

Ronald Charles
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Finalement un article qui partage mon point de vue sur cet imbroglio dans l'espace médiatique haïtien. Un article à lire. Bravo frère pour ce beau papier. Tu as si bien choisi tes mots, ils sont justes. Gardes cette posture! Ce faisant, tu seras sans doute pas riche avec une voiture blindée offerte par un gouvernement corrompu et corrupteur; une belle maison payée par un politicien véreux de la place; une voiture de luxe pour ta petite famille offerte par un concessionnaire fabricant de présidents, mais à coup sur tu seras un vrai journaliste qui restera dans les annales de la presse haïtienne, un qui a servi sa patrie avec honneur, fierté par l'entremise de son métier qu'il exerce avec passion, amour et éthique. Tiens bon frère!

Widlore Mérancourt
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Merci pour tes mots frère

Nathalie V.
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Je me suis toujours demander ce qu'il en fait du code d'éthique du journalisme. En entendant certains parler ils veulent nous donner l'impression qu'ils détiennent le monopole de la vérité. Ils/elles parlent à la radio sans aucun filtre. Parce que chaque personne est a la solde de quelqu'un. Parfois tu écoutes et tu vois qu'il n'y a aucune préparation. On improvise. très content du travail de certains comme toi que j'ai lu plusieurs fois.
C'est triste :(
J'ose le dire, mais avec un régime dictatorial certains seraient obliger de se taire.

Patrick Andre
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J'ai lu avec un grand interet ce billet et je vous en felicite. Je ne crois pas avoir suivi de telles emissions radiophoniques mais je sais qu'elles existent a Port-au-Prince, en province et dans la diaspora aux Etats-Unis. J'ai choisi sciemment d'ecouter des emissions que je juge instructives et qui m'apportent des points-de-vue differents sur l'actualite. Mais une de ces emissions que j'aime sur Radio Vision 2000 rejoint un peu vos descriptions car n'ayant point de theme principal ni de direction fixee a l'avance, elle va au gre de la pensee de l'animateur ou des animateurs. Cela n'enleve pas l'interet de ce qui est debattu mais peut etre quelque fois deroutant a mes yeux. Je me demande en toute sincerite si cela ne decoule pas d'un trait culturel meme ancestral comme les contes populaires ou les monologues des griots africains.