10 décembre 2015

Un Haïtien à Gorée

Á la porte du non-retour
Á la porte du non-retour

C’est libre comme la brise que je me suis rendu à Gorée. Cette île où tant de destins se sont fracassés. Où la mer disputait avec l’horizon l’horreur de l’arrachement, du déracinement. J’ai visité La maison des Esclaves, sur cette toute petite île, haut lieu symbolique de l’histoire tragique. Bâillonnés, entassés, privés de dignité et d’humanité, combien de mes ancêtres ont passé la porte du non-retour ? Combien ont ici succombé, refusant de quitter l’alma mater ? Comment compter ceux-là qui ont préféré dès la genèse de ce commerce contre nature les délices d’une baïonnette dans leurs entrailles altières ou l’hospitalité des profondeurs océaniques ? Que dire de ces téméraires avant-gardistes qui ont refusé de se laisser emporter par cette saignée qui pendant des siècles posera les jalons de l’appauvrissement du continent et de l’abomination qu’est la hiérarchisation des groupes humains ; une abomination ancienne aux souffrances si actuelles.

Je suis allé sur l’île de Gorée dans le cadre de la formation Mondoblog. Portée par l‘Atelier des Médias de RFI, cette plateforme, parfait le rapport à la différence de centaines de blogueurs venant des 5 continents. Elle a choisi la ville de Dakar (Sénégal) comme point d’ancrage cette année. Pendant plus d’une semaine, les principes essentiels du blogging et de la publication sur internet ont étanché la soif des participants des 28 nations représentées dans un mélange saisissant de convivialité, d’altérités harmonieuses autour de la langue française.

Pourtant, ces notions théoriques ne feront jamais le poids devant le défi que représente la découverte d’un pays d’Afrique. Entre l’ignorance, la perfidie des légendes, et l’attraction d’un retour aux sources, le continent représente pour l’haïtien un haut lieu de pèlerinage. Un voyage à effectuer vers soi-même, un pansement sur des blessures encore ouvertes.

Je suis allé au Sénégal. J’ai mangé du thiéboudienne, ce riz goûteux servi avec du poisson, plat national aux saveurs étrangement caribéennes. J’ai bu du thé et découvert le ragoût mélangé au beurre d’arachide. J’ai lu la différence sur le visage affectueux d’une jeune Sénégalaise. Dans les circonvolutions de sa langue déversant dans mon oreille curieuse le Wolof de mes ancêtres. Et aussi le français, notre français que nous avons hérité, dompté et transformé.

Quiconque a la chance de visiter Dakar devra douloureusement appréhender l’écroulement de l’édifice dégradant faisant de l’Afrique, uniquement terre de malheurs, de coups d’État et de dictateurs féroces. La machine à essentialisation se verra confrontée à la complexité du continent. À l’extrême diversité qui traverse des pays si différents entre eux qu’il eût fallu la pesanteur de l’histoire et l’inaudibilité d’un discours alternatif africain, pour arriver à se confondre dans l’absurde exercice consistant à penser l’Afrique comme un seul pays.

Dakar, cette ville développée aux mille attractions. Cette cité espiègle qui sommeille les yeux ouverts et qui drague ses visiteurs ; cette culture, ces couleurs et saveurs qui ont conquis mon cœur.

C’est libre comme la brise que je me suis rendu à Gorée. Dans le bateau qui nous menait à destination, je me suis noyé dans la profondeur de l’océan d’un bleu triste, infini. J’y ai vu le reflet de visages innocents, j’y ai lu la bravoure, la peur et l’intarissable espérance. Au loin, perçant la brume épaisse, j’ai aperçu ce petit bout de terre. J’ai senti le sol de dérober sous mes pieds. Au moment de perdre équilibre, juste à côté de moi, une Française blanche et un Sénégalais à la sublime peau d’ébène se sont brusquement pris par la main. Comme pour se supporter. Comme un pied de nez à la haine qui paralyse.

Les yeux dans les yeux, elle lui a regardé tendrement pour ensuite déposer sur ses lèvres un long et langoureux baiser. J’en ai eu des frissons. Et je me suis rappelé ces mots de Christiane Taubira.

[L’esclavage et la traite] sont une histoire de violence et de beauté. Il se peut que la beauté l’emporte.

Les blogueurs haïtiens au Sénégal
Les blogueurs haïtiens au Sénégal
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Commentaires

Guillaume DJONDO
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J'ai aimé me noyer dans ces souvenirs. Excellent billet !

Widlore Mérancourt
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Noyons nous ensemble mon frère ! Merci d'être passé

Gilbert Lowossou
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Un billet très inspiré. Gorée en était une source abondante. Dakar nous aura marqué à jamais

Elsa Kane Njiale
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Quel texte poètique ! il transpire d'émotion. C'est vrai qu'à Gorée on était partagé entre le charme indéniable de l'île et l'horreur de l'histoire de la traite négrière. Entre rire et pleurer on a choisi de se souvenir.

Widlore Mérancourt
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Entre rire et pleurer on a choisi de se souvenir. On s'en s'ouviendra. Et on prendra la mesure du drame pour que plus jamais l'abomination ne redevienne notre quotidien.

salaud
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Chacun sa manière de pleurer l'encre des souvenirs qui a servi a écrit l'histoire. Un doux salé sucré dans tes larmes écrites et couchées sur ces lignes numériques.

Widlore Mérancourt
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doux, salé, sucré et aussi amer... parfois... souvent

Meem Shoomeatove
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Sérénité, nostalgie, mélancolie, mais surtout une immense paix pour la mémoire de nos ancêtres, un respect démesuré pour nos héros de l'indépendance , voilà ce que j'éprouve à la lecture de ton excellent billet !

Widlore Mérancourt
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Un commentaire qui fait chaud au coeur. Merci Meem