Haïti : la vérité sur l’évasion de «Croix-des-Bouquets»

13 août 2014

Haïti : la vérité sur l’évasion de «Croix-des-Bouquets»

 

Clifford Brandt, présumé criminel Régional
Clifford Brandt, présumé criminel régional en cavale puis appréhendé par la police.

Pas moins de 300 détenus se sont évadés dimanche 10 août 2014 de la prison de Croix-des-Bouquets après une attaque conduite par des inconnus lourdement armés. N’en déplaise aux déclarations du président haïtien, cette énième évasion est bel et bien la résultante des inconséquences ou pire (le ciel nous en préserve), de la complicité des dirigeants en place, donc, de l’Etat. Mais, loin de me préoccuper du sort personnel de certains criminels dont la sombre renommée finira par condamner à la cavale et à l’anonymat, une perspective d’existence qui n’en est pas une, cette évasion interpelle le juriste que je suis pour au moins trois raisons.

  1. La prison est censée protéger la société des écarts jugés inacceptables de certains de ses membres. Écarts entraînant une privation de la liberté, supposée punir et corriger le délinquant. D’où son rôle second de cure contre la récidive. Bien que le débat sur la réelle nécessité de ces hauts lieux agite depuis des lustres nos sociétés, la prison reste le seul moyen à disposition du corps social pour défendre ses valeurs et permettre le nécessaire vivre ensemble. Si on peut se plaindre que la question fondamentale sur la réinsertion de l’ancien délinquant soit rarement posée en Haïti, la détention ne représente pas moins l’épée tranchante entre les mains de mère justice dont les yeux à moitié bandés favorisent l’illusion de son effectivité. En relâchant à répétition des prisonniers, dont certains sont de dangereux marginaux et des criminels récidivistes,  c’est l’existence même d’un appareil judiciaire en Haïti qui est mise en cause.
  2. Par ironie ou inconscience, le sort veut que la police nationale lance encore son traditionnel appel au soutien de la population pour dit-on remettre les malfrats sous les verrous. Une nécessité de mon point de vue. Seulement, comment voulez-vous que je dénonce un criminel avec la quasi-certitude qu’il peut ne pas purger sa peine soit à la faveur d’accointances politiques, de juges corrompus ou au bénéfice d’une de ces sempiternelles casses de prison ? Quel sort réservera une âme endurcie par la surpopulation et l’inhumanité de nos geôles à ses délateurs, ses juges et les avocats de la partie adverse ?
  3. En ces temps où la mémoire semble être un confort oppressant pour nos valeureux hommes politiques, plus que jamais l’éducation devrait orienter les choix du peuple lors des prochaines élections loin de l’amateurisme qui établit son quartier général dans les sphères publiques. Car, entendre un ministre se justifier en déclarant que ce n’est pas la première fois qu’il se passe une évasion dans nos prisons, le supporter et prendre le Canada, constructeur de la prison, en exemple récent est d’une incohérence révoltante.

Une prison qui déshumanise est une industrie de délinquants. Une prison qui libère des individus en dehors des exigences légales assassine la démocratie. Pourquoi des peines de prison ? Comment concilier peine et droits de l’homme ? Comment éviter la récidive ? Comment faire de la prison un espace d’apprentissage des valeurs communes ? Entre irresponsabilité et absence flagrante de réflexion, plus que jamais ces interrogations sont nécessaires à la construction effective de l’Etat de droit.

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