L’art de mourir heureux

19 mai 2015

L’art de mourir heureux

(c) tuxboard.com
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Je grimpai calmement une à une les marches de l’escalier en béton massif. La balustrade rouge vif, brillant sous les effets de l’ampoule installée sur la cour, me refroidit les mains. Il me vint simultanément à l’esprit qu’il fait froid et que je suis quasiment nu. Les pieds sur le bitume, et pour seul accoutrement, un caleçon délavé qui porte les souvenirs d’un temps lointain où il fut bleu.

Cinq minutes plus tôt j’étais dans mon lit. Cinq minutes plus tôt il était minuit et je n’arrivai pas à fermer l’œil. Mon refuge défait garde encore les traces du bouillonnement désordonné de mes pensées. Le tourbillon infernal de mon esprit a effrayé Morphée. Elle m’a abandonné à mes interrogations et mes angoisses.

Comment allais-je mourir ?

Marquée au fer rouge dans mon esprit, cette question ne me délaissait guère depuis que j’ai assisté quatre heures auparavant à cet accident. Ces images me hantent. Des passants effrayés. Un choc violent. La moto broyée. Son conducteur au sol. Immobile. Le sang. Beaucoup de sang. Trop de sang. Des os cassés comme du bois sec. La chair déchirée, étalée. Les cris. La fuite du conducteur responsable de l’accident. Les 60 interminables minutes qu’ont mis les secours à arriver, pour au final appeler un corbillard qui prendra autant de temps à se pointer.

L’escalier, construit sur la cour, en perpendiculaire conduit à l’étage où habite le propriétaire de la maison. Il nous a, sûrement à contre cœur, comme une fauve acculée à abandonner du territoire pour survivre, cédé provisoirement, à moi à et mes amis, le rez- de- chaussée de sa demeure, contre une cotisation annuelle. Je m’arrêtai à mi-chemin, entre le sol et sa barrière, a un niveau où la clôture en fer forgé entourant la maison ne constitue plus un obstacle à l’observation de la rue et des environs.

La nuit est calme. Un vent tiède, léger me caressa la peau. L’infini céleste, d’un noir profond et éclatant, n’est troublé par aucun nuage. Les étoiles scintillent d’une splendeur indescriptible. Au-dessus de ma tête, la lune : grand cercle d’un blanc tâché par endroit, timide, pareil à un œil bienveillant semble m’observer. Me vint alors l’idée de l’ordre cosmique. La beauté, l’harmonie, la perfection de l’univers. Je fermai les yeux. Une sensation de bien-être m’envahit.

Je m’imaginai mon enfance. La source claire, fraiche et limpide de La Digue où moi et mes copains étanchions nos soifs après nos longues parties de foot. Je me représente l’eau qui coule de ce tuyau rouillé. Une eau cristalline, pure et éternelle, rafraîchissante et gratuite offerte par la nature.

Tout prend sens. Tout semble à sa place. Mon présent, mon futur et mes souvenirs se confondent dans un hymne à l’immanent, à la perfection de l’instant. Je n’espère plus, je vis ! C’est à ce moment, à la manière d’un fruit mûr et prêt en temps utile, qu’a éclos en moi le désir ultime : c’est ainsi que j’expirerais s’il m’était donné de choisir. Là, ici, maintenant. En symbiose avec les astres et la terre sous mes pieds. En rendant avec joie ce qui généreusement m’a été donné ; sans remors ni présage.

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