Le site qui fait trembler le gouvernement haïtien

1 juillet 2015

Le site qui fait trembler le gouvernement haïtien

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Comment Internet est en train de changer la politique et la participation citoyenne en Haïti

Le président haïtien, Michel Martelly, s’est livré ce vendredi 26 juin 2015 à un exercice qui a provoqué l’indignation de plus d’un. L’incident s’est produit lors du concert controversé de Lil Wayne et de Chris Brown organisé au Champs-de-Mars par son fils Olivier Martelly.

Cette dernière escapade du chanteur président hors du prestige et du standing de la fonction présidentielle a tenu en haleine les internautes haïtiens sur les réseaux sociaux. Certains s’en sont violemment indignés quand d’autres ont clairement affiché leur indifférence. Il faut dire que depuis son investiture en 2011, le chanteur populaire dont certains déploraient déjà l’obscénité extrême à plusieurs reprises, a laissé ses délires carnavalesques reprendre le dessus.

Parmi les réactions, c’est sûrement l’article publié le lundi 29 juin au cours de la matinée par le site participatif Ayibopost qui aura retenu le plus l’attention. Écrit sur le même ton que les injures présidentielles, le billet a provoqué un scandale dans le scandale. En 15 paragraphes, l’auteur a froidement exposé son ras-le-bol du président et des insuffisances de la société haïtienne. Tout y est passé : de l’atonie générale aux  politiciens véreux et, à la culture du sensationnel sur Internet.

Jamais une publication n’aura suscité autant de réactions de la part de la communauté des internautes haïtiens. En quelques heures, les visites et partages sur Facebook et Twitter se comptaient en dizaines de milliers. D’autres sites ont repris l’article et relayé sur leurs propres réseaux. Trois heures après, il circulait en intégralité sur Whatsapp.

L’immense majorité a applaudi l’expression, crue, mais réelle de l’exaspération ressentie par l’ensemble de la population. D’autres ont fustigé le moyen utilisé, car disent-ils, on ne combat pas l’indécence par l’indécence !

Mais, plus que l’adhésion populaire, c’est sûrement la réaction supposée du gouvernement qui fera date. En quelques heures à peine, le portail n’était plus accessible. Un des responsables du site a « retwitté » sur Twitter un message fort énigmatique: #FreeAyibopost. En commentaires, les rumeurs sur une attaque et une censure de la part du gouvernement y allaient bon train. Le communiqué de la plateforme indiquant le lendemain qu’ils n’ont pas « volontairement » fermé le site à cause de la controverse n’a pas non plus arrangé les choses. A l’heure où je publie ce billet, ayibopost.com est encore inaccessible.

On a eu par le passé des actions en justice contre des sites de l’opposition (je pense à l’introduction d’une action en justice par l’ancien premier ministre Laurent Lamothe contre touthaiti.com), mais jamais, il n’a encore été répertorié une quelconque attaque sur des sites dissidents ou le blocage pur et simple orchestré par les sbires du pouvoir en place. Si elle était avérée, ce serait une première !

Deux leçons sont donc à retenir de cet épisode :

La première est qu’Internet est devenu incontournable dans le débat politique haïtien. Sa force grandissante et la gratuité des informations (rares sont les sites haïtiens qui sont payants) couplées à la démocratisation des TIC surtout parmi les plus jeunes en font l’agora de prédilection de nombreux citoyens et aussi l’espace privilégié de la propagande gouvernementale. Cet outil formidable (non encore réglementé) sera-t-il phagocyté par les autorités en place ou pourra-t-il souffler un renouveau sur une démocratie haïtienne à l’agonie ? L’avenir et le degré d’engagement des citoyens nous le diront.

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